Le Figaro,

n° 18174 Le Figaro Entreprises, lundi 13 janvier 2003,

 

p. 9 ENQUETES; EN COURS

 

Clonaid, l'entreprise secrète des raéliens Anne ROVAN Ce week-end, pas moins de 2 500 financiers américains avaient rendez-vous au salon WorldMoney 2003, à Fort Lauderdale, en Floride. Pour parler business, bien sûr. Mais ils devaient aussi écouter un speech de Thomas Kaenzig, vice-président de Clonaid. Oui, Clonaid, la société proche du mouvement raélien, dirigée par la chimiste Brigitte Boisselier. Celle qui prétend avoir réussi le premier clonage humain. American Expositions Concepts, organisateur de WorldMoney, reconnaît sans ciller avoir réalisé un joli coup marketing. « Après l'annonce de la venue de Thomas Kaenzig, le 2 janvier, dit Marilyn Clark, le porte-parole de la société, nous avons enregistré plus de 300 participants supplémentaires en moins d'une semaine. »

 

Cet invité de dernière minute n'a pas été très difficile à convaincre. Clonaid est actuellement à la recherche de capitaux. Thomas Kaenzig a pu profiter de MoneyWorld pour nouer des contacts. « Dans quelques années, expliquait-il au Figaro Entreprises, quel-ques jours avant la manifestation, lorsque les idées reçues sur le clonage humain reproductif seront tombé es, nous introduirons notre société en Bourse. »

Les hypothétiques investisseurs pourraient tomber de haut. Et se rendre compte un peu tard que le premier clone humain pourrait n'être qu'un canular. « Jamais les scientifiques ne sont parvenus à cloner des primates, indique Louis-Marie Houdebine, directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra). L'annonce du premier clone humain est irréaliste au plan scientifique. » L'autre difficulté pour un éventuel financier serait d'arriver à savoir ce qu'est exactement Clonaid.

Des Bahamas à l'île de Man

Thomas Kaenzig, un Suisse de 30 ans, se dit diplômé d'un MBA de l'université suisse de Saint-Gall, ancien consultant d'un cabinet zurichois et raélien convaincu depuis 9 ans. Lors de notre entretien téléphonique la semaine dernière, il s'est montré plutôt disert sur les équipes de l'entreprise. Le jeune vice-président dirige à la fois les ressources humaines, les finances et le marketing. Clonaid emploierait une vingtaine de salariés, dont une dizaine de scientifiques. Trois personnes passeraient actuellement toute leur journée à répondre aux e-mails en provenance du monde entier. « Nous en recevons 2 000 par jour, explique-t-il. Nous avons même connu des pointes de 500 messages par heure. » Ce serait aussi une société où il fait bon travailler. « Nous fonctionnons comme une start-up biotech, résume-t-il. L'ambiance est détendue, tout le monde se tutoie et, parce que nous sommes des gens ouverts, nous recrutons aussi des non-raéliens. » Les salaires seraient sensiblement inférieurs à ceux du marché. « Mais nous offrons à chacun des stock-options », précise le vice-président.

En revanche, motus et bouche cousue sur la situation financière de Clonaid, ses actionnaires et ses implantations gé ographiques. « Clonaid n'est qu'une marque, lâche Thomas Kaenzig à la fin de notre entretien. À l'origine, elle était portée par une entreprise enregistrée aux Bahamas sous le nom de Valiant Venture Limited. » Renseignement pris à Nassau, auprès du registre du commerce, une société Valiant Venture Limited a bel et bien été créée le 7 janvier 1997 sous le numéro 51 915 B. Les formalités d'immatriculation ont été effectuées par un cabinet d'avocats des Bahamas, Knowles, McKay Miller, Chambers. Joint par téléphone, ce cabinet nous a indiqué n'avoir jamais été en contact avec les dirigeants ou les actionnaires de Valiant Venture Limited. Les avocats ont agi sur instructions d'un intermédiaire : Ocra, société de services financiers implantée dans des paradis fiscaux. Les instructions provenaient du bureau de l'île de Man.

La société Valiant Ventures Limited n'a eu qu'une courte existence. Le 23 mai 1997, soit un peu plus de quatre mois après avoir été immatriculée, elle était radiée du registre des entreprises sur décision du gouvernement des Bahamas. Depuis, une nouvelle société a été créée, nous a assuré Thomas Kaenzig, mais son nom est tenu secret. De même que le pays où elle a été enregistrée et la ville où elle est installée ! « Pour des raisons de sécurité, précise Thomas Kaenzig, mais aussi pour é viter de connaître les mêmes déboires que Valiant Venture Limited. » Quelques pistes cependant : Clonaid semble présente à Las Vegas et au Mexique. Quant au numéro de téléphone auquel nous avons joint Thomas Kaenzig la semaine dernière, il est en République dominicaine. Selon nos informations, un groupe de raéliens é tait alors en villégiature à Punta Cana. Une marque non protégée Sur son site Internet, Clonaid mentionne deux sociétés partenaires : le diffuseur de livres américains Trans-Atlantic Publications et BioFusion Tech, fabricant coréen d'un appareil de fusion cellulaire mis au point avec les équipes de Clonaid. Aucune des deux entreprises n'a accepté de répondre à nos questions. Elles nous ont cependant affirmé n'avoir aucun lien avec les raéliens. Le seul élément tangible reste la marque Clonaid qui permettrait de remonter jusqu'au déposant. Selon une recherche effectuée par l'agence Nomen pour Le Figaro Entreprises, Clonaid n'a pas été déposée aux États-Unis, en Europe et au Canada. Les formalités seraient en cours, a fini par nous affirmer Thomas Kaenzig. Alors ? Clonaid, société secrète ou société fantôme ?

Illustration(s) : La chimiste Brigitte Boisselier, membre de la secte Raël, est aussi présidente de l'entreprise de biotechnologies qui prétend avoir cloné un être humain. (Photo Rhona Wise/AFP.)