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DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 61162/00
présentée par F.L.
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 3 novembre 2005 en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
V. Butkevych,
Mme D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 17 août 2000,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante, Mme F.L., est une ressortissante française. Elle est représentée devant la Cour par Me G. Ducrey, avocat à Paris. Le gouvernement défendeur est représenté par Mme Edwige Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
La requérante vécut hors mariage avec P.
En 1991 et 1992, deux enfants naquirent de leur union, M. et G.
La séparation de la requérante et de P. engendra un différend relatif à l’exercice de l’autorité parentale sur les deux enfants.
Le 1er juin 1995, P. assigna la requérante devant le tribunal de grande instance de Nanterre et demanda notamment l’exercice en commun de l’autorité parentale sur les enfants avec fixation de la résidence des enfants chez le père, ainsi que l’organisation d’un droit de visite de la mère en milieu neutre hors la présence de tout membre adepte du mouvement raëlien, auquel la requérante adhère.
Par une ordonnance rendue le 20 juin 1995, le juge aux affaires familiales ordonna, avant dire droit, l’audition des nurses s’occupant de M. et G. Constatant l’existence « d’un conflit conjugal aigu, qui risque de faire perdre [aux parents] l’objectivité nécessaire à la recherche de l’intérêt des enfants », le juge ordonna également la désignation d’un avocat chargé de la défense des intérêts de M. et de G.
Par une ordonnance rendue le 6 juillet 1995, le juge aux affaires familiales près le tribunal de grande instance de Nanterre établit notamment que :
« (...) ce premier examen de la situation de G. et M. conduirait sans hésitation à maintenir conjoint l’exercice de l’autorité parentale. Toutefois, l’appartenance de la mère au groupement raélien et le fait que la mère vive avec un guide dudit groupement doivent conduire le juge aux affaires familiales à se pencher sur les principes éducatifs développés par cette secte, étant précisé que l’appartenance de la mère à ce mouvement qui vante les mérites de la méditation sensuelle ne saurait justifier d’emblée la modification de l’exercice de l’autorité parentale.
Il apparaît à la lecture de la documentation versée par le demandeur aux débats que selon les principes raéliens les adolescents devraient avoir le droit à une vie sexuelle, politique et religieuse indépendante de leurs parents à partir de 14 ans et l’éducation sexuelle devrait être dispensée dans des centres par des spécialistes (...).
Or, il résulte des attestations des deux filles de C., compagnon de [la requérante], lui-même guide raélien, que celui-ci n’a jamais cherché à impliquer dans ledit mouvement ses filles qui ne sont pas raéliennes et qui ont émis le vœu de suivre leur père lors de la séparation du couple (...).
Compte tenu du très jeune âge des enfants, qui risqueraient d’être profondément perturbés par une séparation prolongée et définitive avec leur mère qui jusqu’à présent et depuis son adhésion au mouvement raélien n’a pas démérité ou négligé ses devoirs de mère, la résidence des enfants sera fixée chez [la requérante], le père exerçant toutefois un très large droit de visite et d’hébergement qui lui permettra de partager un temps quasi équivalent avec ses enfants. »
Le juge ordonna une enquête sociale et un examen médico‑psychologique des enfants, des parents et de C., compagnon de la mère. Dans l’attente des rapports de l’enquête et de l’examen, le juge fixa la résidence des enfants chez la mère dans les conditions suivantes :
« (...) sous réserve que celle-ci ne les implique pas dans le mouvement raélien notamment en :
Le juge précisa que :
« (...) [au] moindre manquement à ces obligations, il sera à nouveau statué sur la résidence des enfants, et ce à la demande du père, même avant l’audience de renvoi ».
Le juge indiqua également les modalités du droit de visite et d’hébergement du père, et fixa à 4 000 francs français (FRF) la part contributive pour l’entretien de chaque enfant. L’ordonnance interdit aux parents de sortir les enfants du territoire français métropolitain sans l’accord écrit de l’autre parent.
Les rapports d’enquête sociale et d’examen médico-psychologique furent déposés le 26 février 1996.
Par ordonnance du 4 juin 1996, le juge aux affaires familiales près le tribunal de grande instance de Nanterre maintint l’exercice conjoint de l’autorité parentale sur M. et G. Il fixa leur résidence habituelle chez la mère avec les réserves déjà établies par l’ordonnance précédente. Le juge précisa également les modalités du droit de visite et d’hébergement du père, fixa à 5 000 FRF la part contributive pour l’entretien de chaque enfant et confirma l’interdiction de sortie des enfants du territoire français métropolitain sans l’accord écrit de l’autre parent.
Dans son ordonnance, le juge releva notamment :
« (...) Le rapport d’enquête sociale a, notamment, fait ressortir que G. et M. paraissaient à l’aise dans les deux univers de leurs parents et intégraient petit à petit le fait d’avoir « deux maisons ». (...)
Le rapport d’examen médico-psychologique a, notamment, fait apparaître que (...) les deux enfants présentent tous les signes d’un équilibre satisfaisant, en tous cas exempt de troubles graves (...).
L’expert psychiatrique a clairement spécifié qu’il convenait d’être attentif à la fonction paternelle, et qu’il ne serait pas sain que M. et G. ne puissent plus reconnaître la véritable identité du père qui fonde leur histoire, en raison de l’ambiguïté papa P. – papa C.
Ainsi, les deux rapports ont conclu au maintien des dispositions actuelles qui apparaissent comme un assez bon compromis entre la stabilité nécessaire au développement des enfants et l’exercice des droits parentaux et qui offrent aussi la garantie que le milieu particulier dans lequel ces enfants vont grandir ne leur sera pas imposé sans recours. »
En ce qui concerne la résidence des enfants et le droit de visite et d’hébergement, le juge releva notamment :
« (...) L’expert psychiatrique a clairement précisé qu’« au-delà des dangers intrinsèques du sectarisme, qui demeurent très incertains, se pose la question de la représentation paternelle » et par conséquent a conclu que de ce point de vue, des mesures devaient être prises pour permettre au père de tenir sa place devant la forte concurrence de « l’autre père », et pour le soutenir dans le contrôle qu’il exerce sur l’éducation, au sens large, de ses [enfants].
Ainsi, s’il est tout à fait admissible que chacun professe et enseigne en toute liberté, conformément à la déclaration des droits de l’homme, les croyances et les opinions qu’il considère bonnes, il n’en demeure pas moins qu’il est du devoir du pouvoir judiciaire, et tout particulièrement du juge aux affaires familiales, de rechercher quel est l’intérêt des enfants qui sont, comme en l’occurrence, placés dans une situation conflictuelle entre leurs parents.
Aussi, les mesures, prises à titre provisoire, qui assurent une certaine séparation entre la vie familiale et l’activité cultuelle sont-elles maintenues (...) ».
La requérante interjeta appel des deux ordonnances rendues les 6 juillet 1995 et 4 juin 1996. Invoquant les articles 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 14 de la Convention, ainsi que l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention, elle contesta notamment l’interdiction qui lui avait été faite de mettre ses enfants en contact avec les membres du mouvement raëlien. Elle soutint que le mouvement raëlien existait en France depuis plus de vingt ans sans présenter de dangerosité, ni d’illégalité et que l’interdiction qui lui avait été faite constituait une infraction aux textes internationaux et français sur la liberté d’opinion, de pensée, de religion et constituait une atteinte à sa vie privée. P. répliqua que le mouvement raëlien est classé par les pouvoirs publics comme faisant partie des 172 organisations sectaires considérées comme dangereuses et se fonda à cet égard sur une circulaire datée du 29 février 1996 et adressée par le Garde des Sceaux aux procureurs généraux près les cours d’appel et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance intitulée « Lutte contre les atteintes aux personnes et aux biens commises dans le cadre des mouvements à caractère sectaire ».
Le 8 octobre 1996, les deux appels firent l’objet d’une ordonnance de jonction rendue par le conseiller de la mise en état près la cour d’appel de Versailles.
Par un arrêt rendu le 4 décembre 1997, la cour d’appel de Versailles confirma les ordonnances en ce qui concerne l’exercice conjoint de l’autorité parentale et la résidence habituelle des enfants chez la mère, l’interdiction pour la mère d’impliquer les enfants dans le mouvement raëlien, ainsi que l’interdiction de sortie du territoire français métropolitain par la mère sans autorisation écrite du père. Elle réforma partiellement le surplus des ordonnances et, notamment, supprima l’interdiction faite à P. de faire sortir les enfants du territoire français métropolitain sans l’autorisation de la mère, mais non celle faite à celle-ci. Dans son arrêt, la cour d’appel releva notamment que :
« (...) après examen et analyse très approfondie effectués par le rapport d’enquête sociale et l’examen médico-psychologique, les enquêteurs et médecins concluent à la reconduction des mesures prises par le premier juge, qui, selon le rapport médico‑psychologique, semblent réaliser un juste compromis entre les intérêts des parties en cause et donner aux enfants le milieu le plus favorable à leur développement ;
(...) la cour adopte les motifs exposés par le premier juge pour confirmer ses dispositions concernant l’exercice de l’autorité parentale et la résidence des enfants ;
(...) il n’appartient pas au juge civil d’apprécier la licéité d’une circulaire ministérielle, laquelle au demeurant ne s’impose pas à lui ;
(...) les mesures édictées par le premier juge ne constituent pas une infraction aux principes relevant de la Constitution ou de traités internationaux, concernant l’exercice de l’autorité parentale, car celle-ci a été conférée aux deux parents conjointement, sans tenir compte de l’appartenance de [la requérante] au mouvement raélien, mais conformément au principe de droit commun du droit français qui en fait une règle, l’exclusion étant une exception ;
(...) ce partage d’autorité parentale implique que chaque parent ait autant de droit à intervenir dans les décisions quant à l’éducation des enfants et leurs relations ;
(...) les dispositions de l’article 372-1 du code civil édictent que faute par les père et mère de s’accorder sur ce qu’exige l’intérêt de l’enfant, il appartient au Juge aux affaires familiales de trancher ;
(...) en l’occurrence, P. considère non conforme à l’intérêt des enfants d’être en contact avec le mouvement raélien dont il n’approuve pas les thèses et les principes d’éducation des enfants ;
(...) en interdisant les contacts des enfants avec le mouvement raélien, le premier Juge n’a fait qu’exercer son obligation de trancher le différend opposant les parents sur l’éducation des enfants ; (...) la décision prise constitue une modalité d’éducation, de surveillance, de protection des enfants constituant les éléments de l’autorité parentale telle que définie par les dispositions de l’article 371-2 du code civil, entrant dans les pouvoirs du Juge aux affaires familiales ; (...) la décision du premier Juge ne constitue pas une atteinte à la liberté de la mère, ni des enfants, mais une mesure prise dans l’intérêt des enfants, de façon à maintenir leur épanouissement dans le cadre familial que leur a créé leur mère tout en ne les éloignant pas moralement et culturellement du père et en préservant le libre choix des enfants ;
(...) en cas de non-respect des dispositions prévues dans le présent arrêt par la mère des enfants, le père pourra saisir le Juge aux affaires familiales compétent afin qu’il soit éventuellement statué à nouveau, notamment sur l’exercice de l’autorité parentale, le lieu de résidence habituelle des enfants et les modalités du droit de visite et d’hébergement ; (...) »
En outre, la cour d’appel ajouta que :
« (...) il n’est pas fondé de subordonner le droit du père de partir en vacances à l’étranger avec ses enfants à l’accord écrit de la mère, étant fait observer que celle-ci ne demande pas la suppression de l’interdiction en ce qui la concerne, et que le père formule des craintes légitimes de voir à cette occasion enfreindre les interdictions de fréquentation ordonnées par le juge (...) »
La requérante se pourvut en cassation. A l’appui de son pourvoi, la requérante soumit un moyen unique, divisé en quatre branches. Invoquant les articles 8, 9, 10 et 11 de la Convention, elle alléguait, dans les trois premières branches, que l’interdiction qui lui avait été faite de mettre ses enfants en contact avec des membres du mouvement raëlien, à l’exception d’elle-même et de C., constituait une atteinte excessive aux droits garantis par les articles précités de la Convention. Invoquant ensuite l’article 2 § 2 du Protocole no 4 à la Convention, elle soutint qu’en subordonnant sa sortie et celle de ses enfants du territoire métropolitain à une autorisation écrite du père, la cour d’appel avait méconnu l’article précité.
Le 22 février 2000, la Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt ainsi motivé :
« (...) attendu, sur les trois premières branches, que les articles cités de la Convention (...) autorisent des limitations permettant les ingérences prévues par la loi et nécessaires dans une société démocratique à la poursuite des buts légitimes énoncés ; que l’arrêt attaqué ne porte pas directement atteinte aux droits et libertés invoqués par [la requérante], mais se borne à soumettre leur exercice à certaines conditions commandées par le seul intérêt des enfants que la cour d’appel a apprécié souverainement ;
Et attendu que [la requérante] n’a pas demandé à la cour d’appel de supprimer l’interdiction de sortie des enfants du territoire métropolitain sans l’autorisation écrite du père ;
D’où il suit que le moyen, irrecevable en sa quatrième branche, n’est pas fondé en ses autres branches (...) »
B. Le droit interne pertinent
Code civil
Au moment des faits, les dispositions pertinentes se lisaient comme suit :
Article 371-2
« L’autorité appartient aux père et mère pour protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité.
Ils ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance et d’éducation. »
Article 372
« L’autorité parentale est exercée en commun par les parents (...) si les parents d’un enfant naturel, l’ayant tous deux reconnu avant qu’il ait atteint l’âge d’un an, vivent en commun au moment de la reconnaissance concomitante ou de la seconde reconnaissance. (...) »
Article 372-1-1
« Si les père et mère ne parvenaient pas à s’accorder sur ce qu’exige l’intérêt de l’enfant, la pratique qu’ils avaient précédemment pu suivre dans des occasions semblables leur tiendrait lieu de règle.
A défaut d’une telle pratique ou en cas de contestation sur son existence ou son bien-fondé, le parent le plus diligent pourra saisir le juge aux affaires familiales qui statuera après avoir tenté de concilier les parties. »
Article 374
« (...) Dans tous les cas, le juge aux affaires familiales peut, à la demande du père, de la mère ou du ministère public, modifier les conditions d’exercice de l’autorité parentale à l’égard d’un enfant naturel. Il peut décider qu’elle sera exercée soit par l’un des deux parents, soit en commun par le père et la mère ; il désigne, dans ce cas, le parent chez lequel l’enfant aura sa résidence habituelle.
Le juge aux affaires familiales peut accorder un droit de surveillance au parent qui n’a pas l’exercice de l’autorité parentale. Il ne peut lui refuser un droit de visite et d’hébergement que pour des motifs graves (...). »
GRIEFS
La requérante soutient que l’interdiction qui lui est faite de mettre ses enfants en contact avec des membres du mouvement raëlien, à l’exception d’elle-même et de C., la contraint d’exiger des personnes qu’elle rencontre de lui communiquer leur appartenance religieuse, sous peine de perdre le droit d’héberger ses enfants si ceux-ci seraient amenés à entrer en contact avec ces personnes. Selon elle, une telle mesure s’apparente aux dispositions prises en France par le gouvernement de Vichy lorsqu’il imposait d’afficher son appartenance religieuse. Elle affirme que la religion raëlienne, dont la dangerosité n’a été aucunement démontrée, est avant tout une philosophie et une manière de vivre. La requérante allègue que les ingérences subies vont à l’encontre des principes de pluralisme et de tolérance qui caractérisent une société démocratique puisqu’elles se fondent sur le classement du groupement raëlien parmi les mouvements sectaires (tel qu’il ressort notamment de la circulaire ministérielle de 1996) et sur l’appartenance de la requérante à ce groupement.
Ainsi, invoquant l’article 8 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention, elle soutient que l’interdiction d’accueillir, de recevoir ou d’héberger à son domicile des membres du mouvement raëlien porte atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale. Elle allègue subir une discrimination injustifiée fondée sur sa religion.
Invoquant l’article 9 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention, elle soutient que l’interdiction qui lui a été faite de mettre ses enfants en contact avec les membres du mouvement raëlien a pour conséquence de l’empêcher de manifester ses convictions religieuses et de pratiquer sa religion aussi bien individuellement que collectivement, à son domicile. La requérante ajoute que, du fait de son appartenance à la religion raëlienne, elle fait l’objet d’une différence de traitement injustifiée.
Invoquant l’article 10 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention, la requérante soutient que l’interdiction de recevoir ou communiquer des informations ou des idées concernant sa religion en présence de ses enfants s’analyse comme une mise à l’écart du fait de ses convictions et estime qu’une telle interdiction est disproportionnée par rapport au but poursuivi et porte atteinte à son droit à la liberté d’expression. Elle allègue subir une discrimination injustifiée.
Enfin, invoquant l’article 11 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention, la requérante considère que l’interdiction de se réunir à son domicile avec les membres du mouvement raëlien porte atteinte à son droit à la liberté de réunion et souligne à cet égard que le mouvement raëlien est légal, n’a jamais été condamné et poursuit un but pacifique. Elle allègue subir une discrimination injustifiée.
EN DROIT
1. La requérante allègue une violation de l’article 8 de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
La requérante conteste l’interdiction qui lui est opposée d’impliquer ses enfants dans le mouvement raëlien.
a) Quant à l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement
Le Gouvernement soulève à titre liminaire une exception d’irrecevabilité. Il soutient que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes s’agissant de l’interdiction qui lui a été faite de sortir ses enfants du territoire français métropolitain sans l’autorisation écrite du père. Il affirme que la requérante n’a pas soulevé ce grief devant la cour d’appel et ne pouvait dès lors l’invoquer devant la Cour de cassation. Selon le Gouvernement, il en résulte que la requérante s’est privée elle-même du contrôle auquel la Cour de cassation aurait pu procéder et n’a dès lors pas épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 de la Convention.
La requérante ne formule aucune observation à cet égard.
La Cour relève qu’il ne ressort ni de la requête initiale ni des observations fournies par la suite par la requérante que celle-ci se soit plainte expressément de l’interdiction qui lui a été faite de sortir ses enfants du territoire français métropolitain sans l’autorisation écrite du père. A supposer même que l’on puisse considérer que ce point ait été effectivement soulevé en substance devant elle, la Cour accueille l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.
Il s’ensuit qu’en tout état de cause ce grief doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
b) Quant au fond
i. Arguments des parties
Si le Gouvernement ne conteste pas l’existence d’une ingérence sur ce point, il estime cependant que celle-ci est justifiée sous l’angle de l’article 8 § 2 de la Convention.
Elle est tout d’abord « prévue par la loi » et en particulier par les articles 372-1-1 et 374 du code civil. Elle poursuivait également, conformément à la jurisprudence de la Cour (Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 47, CEDH 2000‑VIII), un but légitime à savoir la protection des droits et libertés d’autrui. Enfin, concernant la nécessité de la mesure dans une société démocratique, le Gouvernement estime que les juridictions internes, notamment en maintenant chez la requérante la résidence de ses enfants, ont établi un juste équilibre entre les intérêts du père, de la mère et des enfants, dans la limite de la marge d’appréciation laissée en la matière aux Etats par la Convention. Dès lors qu’une expertise médico‑psychologique de l’ensemble des personnes concernées a été ordonnée, que les nurses des enfants ont été entendues et que des attestations des filles du compagnon de la mère ont pu être versées au dossier, la requérante a pu jouer dans le processus décisionnel un rôle suffisamment important pour lui assurer la protection requise de ses intérêts. (Le Gouvernement cite à cet égard l’arrêt Elsholz c. Allemagne, précité, § 52, ainsi que l’arrêt W. c. Royaume-Uni du 8 juillet 1987, série A no 121, pp. 28-29, § 64).
Pour tirer des conclusions en l’espèce, et contrairement à l’affaire Palau‑Martinez contre France (no 64927/01, arrêt du 16 décembre 2003), les juges en charge d’établir les conditions de la séparation des parents et les modalités de leur garde se sont appuyés sur des expertises psychologiques et sociales approfondies. En outre, la requérante n’a pas été privée de son droit de garde et n’a été empêchée ni d’éduquer ses enfants selon ses principes éducatifs ni de participer à titre personnel aux activités du mouvement auquel elle appartient. A cet égard, bien que la cour d’appel ait noté que le comportement du compagnon de la requérante avec les enfants pouvait être « lourd de conséquences » pour ceux-ci, elle les a maintenus dans le cadre familial maternel et n’a pas interdit que les enfants cohabitent avec le compagnon de la requérante. Concernant le droit de la requérante au respect de son domicile, le Gouvernement relève qu’il n’a pas été interdit à celle-ci, contrairement à ce qu’elle allègue, de recevoir, d’héberger, ou d’accueillir chez elle des membres du mouvement raëlien. En effet, dès lors qu’aucune décision n’a été prise en ce sens par les juridictions internes, la requérante est libre de rencontrer et de recevoir à son domicile d’autres adeptes lorsque ses enfants sont absents, ce qui est notamment le cas lorsque ils sont en visite chez leur père. Elle ne saurait donc être qualifiée de « victime » à ce sujet. Concernant la vie privée et familiale de la requérante, le Gouvernement estime que les mesures adoptées ne la concernent pas personnellement et directement ; elles sont strictement liées à la situation des enfants et à la nécessité d’assurer la protection de leurs intérêts. Les mesures contestées ici sont, par conséquent, nécessaires dans une société démocratique et ne violent pas les droits de la requérante garantis par l’article 8 de la Convention.
La requérante conteste en premier lieu la base légale de l’ingérence. Elle estime en effet que la simple lecture de l’article 374 du code civil permet de constater que l’ingérence n’était pas « prévue par la loi » dès lors que, selon elle, l’ingérence est si grave et attentatoire à ses droits qu’elle ne pourrait passer comme s’intégrant dans le droit de surveillance dont dispose le parent qui n’a pas l’exercice de l’autorité parentale. Elle conteste également l’idée que l’ingérence poursuivait un but légitime. Elle considère sur ce point que le seul intérêt des enfants devait être pris en compte en l’espèce et estime que le fait de tenir compte de l’avis du père des enfants afin de déterminer les modalités de leur garde a rendu illégitime le but poursuivi par les autorités.
Concernant enfin la nécessité de la mesure dans une société démocratique, la requérante critique les conclusions des experts et la motivation de la cour d’appel qui, selon elle, ne laissent planer aucun doute sur le fait que les mesures critiquées ont été prises sur l’unique fondement de l’appartenance de la requérante à la religion raëlienne. Si les experts ont insisté sur la nécessité de préserver la fonction paternelle et d’assurer au père biologique une place importante dans l’éducation de ses enfants, aucune restriction n’a paradoxalement été portée aux relations entre les enfants et le compagnon de la requérante. En outre, aucune mesure n’a été prise afin de faciliter les relations entre les enfants et leur père naturel. Dans ces conditions, il n’existerait aucun lien entre la nécessité pour les enfants de préserver leur relation avec leur père et l’interdiction faite à la requérante de les mettre en relation avec d’autres membres de la religion raëlienne.
Se fondant sur la jurisprudence de la Cour (voir les arrêts Hoffmann c. Autriche du 23 juin 1993, série A no 255‑C,et Sahin c. Allemagne [GC],no 30943/96, § 65, CEDH 2003‑VIII), la requérante souligne qu’aucun jugement de valeur sur les convictions religieuses des parents ne doit intervenir dans l’adoption par les juridictions internes de mesures relatives à l’exercice de l’autorité parentale et, à ce titre, elle affirme qu’aucun de ses actes n’a jusqu’à présent préjudicié aux intérêts de ses enfants. Elle en conclut dès lors que l’ingérence des autorités dans son droit au respect de sa vie familiale témoigne d’une prise en compte négative de ses convictions, sans que la preuve d’un quelconque danger pour les enfants ait été apportée. Elle ajoute que la religion raëlienne est avant tout une philosophie et une manière de vivre et conclut à l’absence de nécessité de l’ingérence dans une société démocratique.
ii. Appréciation de la Cour
La Cour ne met pas en doute l’existence d’une ingérence dans les droits garantis à la requérante par l’article 8 de la Convention, point qui n’est pas contesté par les parties.
Pareille ingérence n’enfreint pas la Convention si elle est « prévue par la loi », vise un ou plusieurs buts légitimes au sens du paragraphe 2 de l’article 8 et est « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce ou ces buts.
Sur la question de savoir si cette ingérence était « prévue par la loi », la Cour rappelle tout d’abord qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes auxquelles il revient au premier chef d’interpréter la législation nationale (voir, parmi beaucoup d’autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, p. 2955, § 31 ; Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 290, § 33). La Cour rappelle également que l’expression « prévue par la loi » veut d’abord que l’ingérence ait une base en droit interne, mais l’observation de celui-ci ne suffit pas : la loi en cause doit être accessible à l’intéressé, qui en outre doit pouvoir en prévoir les conséquences pour lui (Malone c. Royaume-Uni, arrêt du 2 août 1984, série A no 82, pp. 31-32, § 66, voir également Antunes Rocha c. Portugal, no 64330/01, § 67, 31 mai 2005).
En l’espèce, la Cour relève tout d’abord que, dans son arrêt du 4 décembre 1997, la cour d’appel de Versailles a expressément fondé sa décision sur l’article 372-1, devenu l’article 372-1-1 du code civil. La Cour relève que la requérante ne formule aucune observation sur cette disposition, se contentant de contester l’interprétation par les juridictions internes de l’article 374 du même code civil.
La Cour relève ensuite, d’une part, que l’accessibilité des dispositions du code civil, principalement en raison de leur caractère codifié, n’est pas contestable et, d’autre part, que les articles 374 et 372-1-1 de ce code prévoyaient clairement la faculté pour un juge saisi en ce sens de trancher un litige entre deux parents s’opposant quant aux modalités d’exercice de l’autorité parentale sur leur enfant. La jurisprudence de la Cour de cassation française établit à ce titre, sans aucune ambiguïté, que cette disposition fut à l’époque des faits le fondement légal des décisions relatives à l’exercice de l’autorité parentale. Il s’ensuit que, dans la mesure où incontestablement un litige sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale opposait P. à la requérante, cette dernière pouvait prévoir que les juridictions nationales tranchent ce litige en se fondant sur les dispositions pertinentes du code civil à savoir les articles 374 et 372-1-1.
La Cour estime dès lors que l’ingérence était « prévue par la loi » au sens de l’article 8 de la Convention.
La Cour juge ensuite que les décisions contestées par la requérante visaient à l’évidence « la protection des droits et libertés d’autrui », à savoir principalement l’intérêt des enfants, mais également celui de leur père. Elles poursuivaient donc un but légitime au sens du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention.
Afin de rechercher si la mesure contestée était « nécessaire dans une société démocratique », la Cour examinera, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués pour la justifier étaient pertinents et suffisants au sens du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention.
La Cour observe de façon liminaire que les enfants de la requérante étaient très jeunes à l’époque où les juridictions du fond se sont prononcées, en 1995, 1996 et 1997 (respectivement 4 à 6 ans et 3 à 5 ans). Cet élément ne doit pas être perdu de vue, car de tout jeunes enfants sont éminemment influençables, en particulier par la famille dans laquelle ils résident à titre principal. La Cour rappelle ensuite que l’examen de ce qui sert au mieux l’intérêt de l’enfant est toujours d’une importance cruciale dans toute affaire de cette sorte. Dans ce sens, il faut avoir à l’esprit que les autorités nationales bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés. La Cour n’a donc point pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer les questions de garde et de visite, mais il lui incombe d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (voir notamment Bronda c. Italie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, p. 1491, § 59, et Elsholz, précité, § 48). La Cour réaffirme à ce sujet que lorsque sont en jeu les droits garantis aux parents par l’article 8 de la Convention et ceux d’un enfant, les tribunaux doivent attacher la plus grande importance aux droits de l’enfant. Lorsqu’une mise en balance des intérêts s’impose, il y a lieu donc de faire prévaloir les intérêts de l’enfant (voir Elsholz, précité, § 52 ; T.P. et K.M. c. Royaume-Uni [GC], no 28945/95, § 72, CEDH 2001-V et Yousef c. Pays‑Bas, no 33711/96, § 73, CEDH 2002‑VIII). Au titre des principes régissant la matière, la Cour rappelle enfin qu’il convient également de déterminer, en fonction des circonstances de chaque espèce, et notamment de la gravité des mesures à prendre, si les parents ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour leur accorder la protection requise de leurs intérêts. Dans la négative, il y a manquement au respect de leur vie familiale et l’ingérence résultant de la décision ne saurait passer pour « nécessaire » au sens de l’article 8 de la Convention (W., précité, §§ 62 et 64).
La Cour observe en l’espèce que l’intérêt des enfants relevait principalement de la nécessité de maintenir et de favoriser leur épanouissement dans un environnement ouvert et apaisé, en conciliant dans la mesure du possible les droits et convictions de chacun de leurs parents, ceux-ci exerçant en l’occurrence conjointement l’autorité parentale sur les deux enfants.
Afin de déterminer si les mesures litigieuses étaient pertinentes et suffisantes afin de parvenir à cet objectif, la Cour relève que la requérante a obtenu la garde conjointe de ses enfants et que ceux-ci résident au quotidien chez elle, avec un droit de visite chez leur père. En outre, aucune mesure ne lui interdit de faire usage vis-à-vis d’eux des principes éducatifs pour lesquels elle a opté. Il ne ressort pas non plus des décisions critiquées par la requérante que celle-ci ait été empêchée de participer à titre personnel aux activités du mouvement raëlien. La Cour estime dès lors que la requérante, bien que rendue attentive aux contacts de ses enfants avec des personnes extérieures à la cellule familiale, ne subit qu’une atteinte partielle à ses droits garantis par l’article 8 de la Convention. Aux yeux de la Cour, le caractère ainsi atténué de la mesure contestée souligne de manière sensible la volonté des autorités nationales de concilier les droits de chacune des parties. Dans le même sens, la Cour note que le compagnon de la requérante, qui appartient lui-même au mouvement raëlien, n’est en aucune mesure concerné par la mesure critiquée. Il s’ensuit que l’ingérence incriminée ne perturbe pas les relations qui prévalaient antérieurement au sein de la cellule familiale maternelle.
Sur la question de savoir si le processus décisionnel a suffisamment protégé les intérêts de la requérante, la Cour relève que le juge aux affaires familiales saisi a ordonné, dès son premier examen de l’affaire et avant dire droit, l’audition des nurses des enfants et désigné un avocat chargé spécifiquement de la défense des intérêts de ceux-ci. Deux semaines plus tard, dans une ordonnance où il s’inquiétait des principes éducatifs prônés par le mouvement raëlien, en particulier sur le plan de la vie sexuelle, le juge n’en a pas moins maintenu la garde conjointe des enfants en tenant compte dans sa décision de l’avis donné par les filles de C., le nouveau compagnon de la requérante, et a fixé la résidence des enfants chez leur mère tout en accordant un droit de visite élargi à leur père. Enfin, ce même juge ordonna une expertise médico-psychologique des enfants, des parents et de C., expertise dont la requérante n’a d’ailleurs pas contesté l’analyse devant les juridictions internes. La Cour en conclut que la pertinence des mesures prises est démontrée par des enquêtes sérieuses et approfondies.
La Cour juge ainsi que les juridictions internes amenées à statuer en l’espèce se sont efforcées de tenir compte des demandes de la requérante, de concilier ses droits avec ceux des autres parties en présence, tout en poursuivant l’objectif prioritaire que constituait la défense de l’intérêt supérieur des enfants. La Cour considère par conséquent que l’ingérence dans les droits et libertés de la requérante garantis par l’article 8 de la Convention était proportionnée au but légitime poursuivi et, par suite, « nécessaire dans une société démocratique ».
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. La requérante allègue une violation de l’article 9 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique (...) la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Le Gouvernement ne conteste pas que l’interdiction faite à la requérante de mettre ses enfants en contact avec les membres du mouvement raëlien (autres que son compagnon), et par conséquent l’empêchement qui en découle pour elle de manifester de façon complète ses convictions religieuses et de pratiquer sa religion aussi bien individuellement que collectivement à son domicile constitue une ingérence dans le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion de la requérante.
Le Gouvernement estime cependant, à l’instar de son analyse du grief précédent, que cette ingérence était prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir la protection des droits et libertés d’autrui.
Le Gouvernement estime enfin que la mesure incriminée était nécessaire dans une société démocratique afin, d’une part, de respecter l’égalité de traitement entre le père et la mère, opposés quant à l’éducation de leurs enfants, et afin, d’autre part, dans l’intérêt des enfants, de maintenir leur épanouissement dans le cadre familial que leur avait créé leur mère sans les éloigner moralement et culturellement de leur père, ce dans le but de préserver leur libre choix. Les autorités judiciaires nationales ont ainsi uniquement proscrit la mise en contact des enfants avec des membres du mouvement raëlien autres que la requérante et son compagnon de telle sorte que cette mesure n’impose pas à la requérante de charge excessive et qu’elle puisse, par des mesures simples, respecter cette interdiction. Les enfants sont suffisamment fréquemment avec leur père pour que la requérante puisse pratiquer et manifester sa religion en toute liberté, y compris collectivement et en public, à son domicile ou en dehors de celui-ci, hors la présence de ses enfants. Le Gouvernement met l’accent sur le fait que les juridictions internes se sont abstenues d’apprécier la légitimité des croyances de la requérante, leur attention se portant uniquement sur l’intérêt des enfants, conditionné notamment par leur âge, et le droit légitime du père à participer à leur éducation. Le Gouvernement en conclut que l’Etat a veillé à ce que chaque partie puisse exercer ses droits et libertés le plus harmonieusement possible et qu’ainsi le grief de la requérante tiré d’une violation alléguée de l’article 9 de la Convention doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement.
La requérante ne conteste pas la base légale sur laquelle s’est fondée l’ingérence. Elle ne conteste pas davantage l’existence d’un but légitime poursuivi. Concernant cependant la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, la requérante se fonde sur la jurisprudence de la Cour (Manoussakis et autres c. Grèce, arrêt du 26 septembre 1996, Recueil 1996‑IV) afin d’affirmer que les juridictions internes ne doivent en aucun cas juger la légitimité des croyances religieuses et en soupçonner la dangerosité sans qu’aucune preuve ne soit rapportée. Elle souligne à cet égard la bonne santé physique et mentale de ses enfants. Enfin, elle met en avant le fait que la résidence de ses enfants étant fixée chez elle, l’interdiction pour eux d’être mis en contact avec d’autres personnes appartenant au mouvement raëlien a pour conséquence de lui interdire de recevoir ces personnes chez elle. Elle en conclut à la disproportion de la mesure dans une société démocratique et à la violation de l’article 9 de la Convention.
La Cour considère, comme les parties, que la mesure litigieuse doit s’analyser en une ingérence dans les droits et libertés garantis par l’article 9 de la Convention, notamment en raison des limites portées à la pratique collective de sa religion par la requérante. La Cour relève ensuite, et alors que ces points ne font pas l’objet de discordance entre les parties, que cette ingérence était « prévue par la loi » et poursuivait un but légitime au sens du paragraphe 2 de l’article 9 de la Convention, à savoir la protection des droits et libertés d’autrui.
Quant à la question de savoir si cette ingérence était « nécessaire dans une société démocratique », la Cour note d’emblée, concernant le caractère suffisant de la mesure, que la requérante peut, sans restriction, continuer à pratiquer sa religion de manière personnelle, cette pratique pouvant même s’exercer en présence de ses enfants dès lors que ceux-ci ne sont pas mis en contact avec d’autres membres du mouvement raëlien. La Cour relève également l’importance, et dès lors la pertinence, d’une telle mesure dans la poursuite du but prioritaire que représente la prise en compte de l’intérêt supérieur des enfants. Cet objectif passe en l’espèce aux yeux de la Cour par la conciliation des choix éducatifs prônés par chacun des parents et doit permettre d’assurer un équilibre satisfaisant entre les conceptions de chacun, en dehors de tout jugement de valeur et par le biais, le cas échéant, d’un encadrement minimal des pratiques religieuses personnelles. La Cour estime qu’il en découle que si la mesure contestée constitue une atteinte aux droits garantis à la requérante par l’article 9 de la Convention, cette atteinte est mineure et doit en tout cas être vue comme indispensable afin d’assurer la conciliation des droits de la requérante avec les droits d’autrui, en l’occurrence surtout ceux de ses enfants mais également ceux de leur père. Comme elle l’a relevé d’emblée, la Cour rappelle que les enfants étaient très jeunes, et n’avaient nullement le discernement leur permettant de comparer les choix éducatifs respectifs de leurs deux parents. En outre, les juridictions nationales n’ont pas porté de jugement de valeur sur les convictions respectives de ceux-ci, se bornant à constater qu’elles étaient opposées et ce dans le contexte conflictuel d’une séparation. Il s’ensuit que cette ingérence n’a pas été disproportionnée par rapport à la poursuite du but légitime poursuivi et doit, par conséquent, être regardée comme « nécessaire dans une société démocratique ».
Partant, ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3. La requérante allègue une violation des articles 8 et 9 de la Convention combinés à l’article 14 de celle-ci. Les dispositions pertinentes de l’article 14 se lisent comme suit :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur (...) la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions (...) ou toute autre situation. »
Le Gouvernement souligne que les décisions judiciaires ont été prises dans l’intérêt des enfants et tiennent à la nécessité exprimée par l’expert‑psychiatre que les enfants conservent, malgré un éloignement relatif, une image suffisante de leur père en tant qu’éducateur, et que les choix éducatifs du père soient pris en compte au même titre que ceux de la mère. Le Gouvernement estime que la requérante n’a pas subi de discrimination fondée sur sa religion ou ses convictions dans l’exercice de ses droits garantis par les articles 8 et 9 de la Convention.
La requérante estime avoir fait l’objet d’une discrimination fondée sur la religion dès lors que les droits du père des enfants ne souffrent pas des mêmes limitations. Selon elle, sous couvert de vouloir protéger les droits et libertés du père, les autorités ont fondé leurs mesures sur la réticence de celui-ci vis-à-vis des convictions religieuses de la requérante.
La Cour rappelle que dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention, l’article 14 de la Convention interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables (voir, entre autres, Hoffmann, précité, § 31). Il y a donc lieu de déterminer avant toute chose si la requérante peut se plaindre d’une telle différence de traitement.
En fait, même en admettant que l’on puisse considérer que la requérante et le père de ses enfants soient des personnes placées dans des situations comparables, la Cour renouvelle le constat que la mesure contestée n’a eu qu’une influence très réduite sur les pratiques religieuses de la requérante et ne tendait en tout état de cause qu’à résoudre le conflit né de l’opposition entre les conceptions éducatives des deux parents, dans le but de veiller à l’intérêt supérieur des enfants. En outre, si dans l’affaire Hoffmann la Cour a conclu à la violation des articles 14 et 8 combinés, elle s’était fondée sur ce que, pour des raisons essentiellement religieuses, la Cour suprême, infirmant les décisions des juridictions subordonnées, avait retiré l’autorité parentale à la mère et l’avait confiée au père. En revanche, en l’espèce, comme il a été dit, l’autorité parentale était conjointe, et, sous réserve du droit de visite reconnu au père, les enfants résidaient chez la requérante. Les deux affaires se distinguent clairement, de ce point de vue également. Cette décision avait ainsi pour but exclusif de préserver le libre choix des enfants en prenant en compte les conceptions éducatives de leur père. Aux yeux de la Cour, ces décisions des juridictions internes ont été prises en dehors de tout débat, et donc de tout jugement de valeur, sur les conceptions et les pratiques idéologiques de la requérante (voir, a contrario, les arrêts Hoffmann, précité, § 33, et Palau-Martinez, précité, §§ 37 et suiv.).
Compte tenu de ce qui précède, l’interdiction faite à la requérante de mettre ses enfants en contact avec d’autres membres du mouvement raëlien qu’elle-même et son compagnon ne peut s’analyser en une différence de traitement fondée sur la religion entre elle et le père de ses enfants.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
4. La requérante allègue une violation des articles 10 et 11 de la Convention, invoqués seuls ou en combinaison avec l’article 14 de celle-ci.
La Cour constate que nulle question distincte ne se pose sur le terrain de ces dispositions, invoquées isolément ou combinées à l’article 14 de la Convention, la substance des griefs invoqués étant la même que ceux tirés des articles 8 et 9 de la Convention, invoqués seuls ou combinés à l’article 14 de celle-ci.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
S. Dollé A.B. Baka
Greffière Président